Il est consternant - mais pas surprenant - de constater que ce site manque d'aussi loin une belle occasion d'être à la hauteur de son sujet.
L'Union sacrée derrière le pauvre Charlie Hebdo, non pas tant à cause de l'agression dont ses locaux et son site ont été l'objet, mais pour communier en compagnie du premier flic républicain venu
et de racistes patentés dans la délirante défense d'une fantasmatique liberté d'expression dont on se demande tout de même bien en quoi tous ces censeurs patentés l'incarneraient, mérite
évidemment la causticité d'un regard satirique. Elle n'a guère attiré à elle que de la complaisance, ici comme ailleurs. Les bien faibles défenses publiées ci-dessus ("on a du mal à se
retrouver...etc) convainquent d'autant moins qu'il y a eu à cette occasion, et pour la deuxième fois dans l'histoire de ce journal, poignée de main entre un prétendu satiriste et un ministre, et
que Charb s'est laissé aller ensuite à prétendre avoir découvert à cette occasion le "tabou" de la critique de l'Islam. Nous sommes très loin de propos proférés dans la crainte de censure: il
faut au contraire n'avoir plus peur de rien pour plastronner à un niveau aussi Zemmourien sa prétention affichée à la niaiserie.
Quant à la fameuse couverture en cause, elle appelle quelques critiques élémentaires.
1°) Pour un "satiriste", dire aujourd'hui en France que la Charia c'est mal ressemble à s'y méprendre à annoncer bruyemment l'invention de l'eau tiède dans un sauna. Je ne sais pas qui l'ignorait
encore. Merci Charlie, donc! (De même, traiter un pape de réactionnaire demande-t-il sans doute une acuité de vue qu'on ne trouve guère que chez les plus affûtés de nos intraitables et féroces
libres penseurs. Heureusement qu'ils sont là, je croyais que Mgr Ratzinger était un libertaire, et que le goût pour les robes de son organisation dénotait son militantisme transgenre. Mais
Charlie est là pour nous rappeler régulièrement que le Pape n'est pas à la tête d'un groupe subversif.) Autant dire qu'on se demande en quoi il est besoin d'être satiriste pour cela. Parce que
toute la presse magazine ne cesse de le dire à l'unisson depuis des années: l'islam c''est dangereux, l'islam menace la république, l'Islam n'est pas compatible avec nos valeurs occidentales,
etc. On voit le courage intellectuel, l'audace, la profondeur de la provocation de Luz et de Charlie - autrement dit, la réelle "provocation" ici n'était pas dans le dessin, mais évidemment
dans sa prétention à incarner au sein de pareil consensus politico-médiatique un tant soit peu une satire, et à parler au nom de la liberté.
Ce qui ne donne évidemment pas le moins du monde raison aux incendiaires inconnus, mais donne par contre tort à l'essentiel de ceux qui ont pris la défense de Charlie Hebdo sans se montrer un
instant capable de la moindre distance critique quant à son contenu. Certes, les intégristes religieux sont infréquentables. Mais tous ceux qui braillent contre l'intégrisme religieux ne sont pas
mes amis pour autant. C'est pourtant simple.
2°) Ce dessin visait paraît-il le résultat d'une élection... en Tunisie. Le moins qu'on puisse dire est qu'il procédait par ellipse, et par amalgame - un fait auquel Charlie nous à hélas habitué
depuis quelques années, quand il s'agit des musulmans en particulier - étendant ici la présence au Pouvoir d'élus d'un parti Musulman à la mise en place pure et simple de la Charia - et
reprochant manifestement aux électeurs Tunisiens d'avoir mal voté. (c'est dur d'être démocrate: les peuples sont ingrats et incompétents, surtout quand ils sont pas de chez nous et musulmans.)
Ajoutons à cela que le fait d'actualité qu'il visait n'était pas même mentionné en couverture. Pour ma part, la découvrant, je me suis demandé quelle actualité française nous vallait ce crobard.
Il faut dire que tant de Unes et de Couv' des satiristes de L'Express, des libertaires corrosifs du Point, des indomptables libre-penseurs du Figaro, des bouffeurs de curé impénitents de la
presse régionale et j'en passe, dénoncent depuis longtemps avec un grand courage le spectre de la menace islamiste suspendue au dessus de nos mauvaises têtes de gauchistes pas assez
intransigeants avec les étrangers, voir suspects de compter sur eux pour nous débarrasser de nos bons maîtres.
Là encore, tout cela ne justifie pas une agression - mais il y a de quoi inviter quiconque n'est pas intoxiqué au choc des civilisations et à la propagande islamophobe crasse, à l'expression d'un
soutien extrêmement mesuré, et non seulement à se tenir à l'écart des incantations sur la "liberté d'expression menacée par l'obscurantisme", (entre autres raisons, Charlie hebdo n'échappe pas au
procès en obscurantisme sur le sujet, hélas) mais encore à dénoncer la façon dont la liberté d'expression est ici prise en otage par un journal victime d'une agression pour cautionner une
propagande à laquelle il prète main-forte en se donnant des airs d'esprit fort pour pas cher.
Par ailleurs,
3°) Il est faux de prétendre qu'ily a eu là "censure" ou même seulement "atteinte à la liberté d'expression" de qui que ce soit. Il y a certes eu une agression perpétrée contre les locaux d'un
journal. Mais en regard de pareil objectif - censurer, réduire au silence, priver de liberté d'expression" - le moyen employé - ici, la destruction des locaux et de leur contenu, et une attaque
de hackers sur un site internet - était dérisoire. Pour le dire autrement: il est fallacieux (et absurde) de prétendre que des fous de dieu auraient le pouvoir, et même la volonté réelle de
censurer la "critique de l'Islam" en France (ah oui, mais ce sont des fous de dieu, donc l'absurdité ne leur fait pas peur?). Ajoutons qu'il n'est pas difficile non plus d'identifier la
propagande que vient conforter le moindre crédit accorder à ce mensonge. Ajoutons que l'identité des auteurs de l'incendie reste elle inconnue, et que le discours sur la censure et la liberté
d'expression partait au contraire du principe qu'il s'agissait de musulmans. Par ailleurs, si les hackers semblent plus clairement identifiés, on doit admettre que leur capacité de nuire se
limite au contenu de sites internet. (S'il y a des pare-feux, ça n'est pas contre leurs coktails molotov).
Il n'était pas difficile, dès la nouvelle connue, de prévoir que ce n° de Charlie serait a contrario l'objet d'un tirage exceptionnel, et deviendrait un collector pour quiconque
a besoin d'un diplôme de libre-penseur républicain contresigné et authentifié. Et étant donné l'état de la pensée critique en ce pays, les nécessiteux sont légion. On renverra à ce propos, pour
ceux d'entre eux qui seraient encore capables d'éprouver un peu de honte de leur misère, à l'oeuvre d'un satiriste autrichien (et non "au tri chien", comme les français de souche durs de la
feuille pourraient être tentés de le lire) qui n'a jamais usurpé cette appellation, Karl Kraus, et en particulier à "Troisième nuit de Walpurgis" écrit en 1933-34 dans un contexte
autrement difficile et inquiétant. Ainsi qu'à Gunther Anders, et à ses réflexions sur l'inefficacité des autodafés nazis, en terme de censure, au temps de la production industrialisée, publiées
en 1956 dans "L'obsolescence de l'homme" - réflexions elles mêmes caduque à l'heure des "réseaux", mais très en avance encore sur celles des défenseurs de Charlie Hebdo. Il y a eu
attaque contre des biens matériels appartenant à un journal. Mais il était tentant pour beaucoup de se payer de mots, et de fantasmer là une liberté "menacée" dont ils ne soupçonne même pas qu'il
leur revient à eux-même de faire usage.
4°)Enfin, et là est sans doute le point essentiel, il est pour le moins abusif, et plus vraisemblablement grossièrement mensonger d'identifier la liberté de la presse avec la liberté
d'expression, comme cela l'a été fait jusqu'à la nausée il y a quinze jours. Un journal qui meurt, c'est un journal qui meurt - et ici il ya eu essentiellement une parution perturbée, un
renouvellement anticipé de son parc informatique, un motif de contrariété pour son assureur.
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Commentaire de Olivier
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